Memoires oubliees

ISBN/EAN 978-2-35285-086-1

20 €

330 pages

Mémoires oubliées. 14-18, la vie malgré tout

Après un décès dans sa famille, un écrivain s’intéresse à l’histoire de ses ancêtres.
Il dévoile des secrets enfouis et fait des découvertes inattendues…

Ce premier tome nous transporte de la révolution de 1840 aux sombres journées de La Commune, puis jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, sur le front de Verdun et dans les hôpitaux de l’arrière à Biarritz et à Hyères.

Le narrateur s’attache à la personnalité de Robert Besson. Il dresse le portrait d’un médecin cultivé, nanti et brillant, mais un homme à femmes, égoïste et joueur qui a brisé la vie de ses proches.
Au fil de ses rencontres – André Gide et Edith Wharton – et de son expérience au front, un peu d’humanité germe en lui et il découvre la sérénité à travers l’amour.

Le parcours peu banal de cet homme nous raconte le quotidien effrayant et désespéré des soldats dans les tranchées.
Il nous conduit en province, loin du front, où, malgré la guerre, la vie sociale continuait, avec ses intrigues amoureuses.

Gide ne leur cacha pas qu’il était lui-même dans une réflexion pour se convertir au catholicisme. Robert leur confia qu’il avait entrepris un chemin inverse. Il avait été baptisé et éduqué dans une institution religieuse catholique et s’était depuis longtemps éloigné de cette religion. Il se rapprochait disait-il, chaque jour, d’une sorte de paganisme qui le libérait de toute contrainte. Gide s’intéressa à cette évolution et leur révéla son rejet viscéral de l’institution ecclésiastique. Il leur avoua qu’il craignait de ne pas pouvoir accepter, s’il devenait catholique, de devoir abandonner son libre examen. Robert approuva, car il partageait, ô combien, ce besoin d’individualisme. Il ajouta :
– Vous savez qu’il est bien plus difficile que ne le pensent ceux qui ont la foi, de ne pas croire que de croire en Dieu.
Gide acquiesça avec un sourire entendu. L’un comme l’autre refusaient les servitudes, d’où qu’elles viennent, qu’elles soient sociales, familiales ou religieuses. Gide se méfiait du dogmatisme des catholiques, Robert préférait la vérité personnelle à celle des institutions. Gide était en parfait accord avec lui.
Hugo s’était jusqu’alors quasiment contenté de les écouter. Il intervint pour ajouter un point qui lui paraissait essentiel de mentionner à l’intention de son ami :
– Robert, dans votre lecture des Nourritures terrestres, vous semblez ne pas avoir retenu ou tout du moins vous ne nous en avez pas parlé que Gide prône un précepte de toute première importance. S’il recommande vivement la recherche des plaisirs, il nous incite aussi et surtout à la recherche du bonheur de vivre… et suggère d’être habité par une ferveur.
Robert garda le silence. Il comprit que son ami Hugo, qu’il respectait, lui adressait un message personnel et peut-être même un conseil sur la façon de réorienter sa vie.
Gide, comme s’il avait deviné le sens de cette intervention, renchérit :
– Oui, Hugo, vous avez raison. Je crois que le bonheur de vivre est une nécessité essentielle et je déteste dans la religion catholique cette notion du péché qui empêche de goûter à tous les fruits de la terre. Cette idée que l’homme est de passage sur terre comme dans un purgatoire avant d’accéder, s’il passe avec succès les épreuves de la vie, à un hypothétique paradis, peut devenir un redoutable piège pour celui qui veut savourer le bonheur de vivre.
Ils continuèrent encore quelques instants d’échanger leurs analyses et leur philosophie de vie. Gide mit fin à leur conversation :
– Messieurs, mes derniers mots avant d’aller reposer mon esprit seront, et j’en suis chaque jour plus convaincu, qu’il faut croire ceux qui cherchent la vérité et douter de ceux qui la trouvent. Voilà une bonne base de réflexion pour trouver, après cet excellent cognac et cette agréable soirée en votre compagnie, un sommeil plein de rêves poétiques et de paix, loin des bruits des canons.
Ils prirent ensemble l’ascenseur et se quittèrent sur le palier qui menait à leurs différentes chambres.

[…]

Il arriva dans une première cave éclairée par des lampes à acétylène suspendues à de grosses poutres en chêne disposées verticalement. Dans la lumière blafarde, Robert distingua de nombreuses civières posées sur le sol sans ordre précis, formant comme un gigantesque embouteillage. Les corps étaient parfois tête-bêche, quelquefois les visages des blessés se faisaient face et se côtoyaient à quelques centimètres. Cette pièce, qui devait faire une centaine de mètres carrés, était un capharnaüm indescriptible. Au milieu de ce désordre, deux groupes de brancardiers s’activaient et faisaient des allers-retours entre la cour et la cave avec leurs chargements d’infirmes. La plupart de ces soldats blessés râlaient, criaient, imploraient, d’autres, dans le coma ou déjà morts, se laissaient emporter en silence.
Plus loin, dans le fond de la cave, Robert perçut un mouvement d’ombres. S’approchant, trouvant avec difficulté un chemin entre les corps étendus, il distingua le blanc de leurs tabliers. Les formes, telles des fantômes se penchaient puis se relevaient, s’attardant parfois dans une position, bougeant à peine. Il s’approcha. Un médecin-major, secondé par deux infirmiers, passait d’une civière à l’autre. Parfois il ne s’arrêtait qu’un instant, et les infirmiers signalaient aux brancardiers qu’ils pouvaient disposer de ce corps encombrant et le remonter à la surface. Parfois il s’arrêtait, le temps de prodiguer des soins, alors il coupait dans les chairs et endiguait avec de la ouate les hémorragies, et déroulait des bandes de gaze pour panser en toute hâte les blessures avant que les blessés soient transportés vers les auto-ambulances.
Un infirmier, apercevant Robert, le signala au médecin-major. Sans détourner son regard de la plaie qu’il traitait, celui-ci s’adressa à Robert sur un ton sarcastique :
– Bienvenu aux portes de l’enfer, cher confrère ! Petit-Remy va te donner un tablier et un bonnet, puis il t’accompagnera dans l’autre cave, derrière moi. Dorénavant ce sera ton cabinet de consultation.
Il continua d’une voix sèche qui ne laissait aucune place à la discussion :
– Petit-Remy ! Demande aux brancardiers de lui amener ses premiers clients.
Ensuite, toujours sans le regarder, il reprit, s’adressant à Robert :
– Petit-Remy sera ton infirmier. Tu as de la chance, c’est un ancien : il s’y connaît. Tu pares au plus pressé et tu tries, nom d’un chien, tu tries !
Dit-il, en élevant un peu plus la voix. Puis il se désintéressa de Robert et s’adressa rageusement à l’autre infirmier :
– Passe-moi encore de la gaze… les ciseaux !
Robert, suivant Petit-Remy vers la cave mitoyenne, passa à proximité du médecin-major et l’entendit prononcer cette fois à voix basse :
– Ah celui-là, blessure à l’abdomen… trop grave, on ne peut rien faire, emmenez-le. Et celui-là ah ! Merde… merde il a perdu connaissance, il est dans le coma… une plaie ouverte… On peut rien pour lui, allez, un autre…


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